[MUSIQUE] Kurt Lewin a réalisé ses travaux à l'université de Berlin, ce point est important pour expliquer ses travaux qui s'inspirent de la Gestalt théorie, en défendant l'idée que le tout est davantage que la somme des parties qui le constituent. Mais les travaux de Lewin se détachent également de ceux de cette école par son approche constructiviste de la réalité. Dans ces recherches, il accorde une grande importance au contexte, ainsi qu'aux représentations que se font les individus des situations qu'ils vivent. Devenu professeur à l'universtiré de Berlin, il quitte l'Allemagne, en 1933, pour s'installer aux États-Unis. Et c'est comme professeur à l'université de l'Iowa qu'il conduit ses travaux fondateurs sur le comportement des individus au sein des groupes. Aujourd'hui, Kurt Lewin est considéré comme pionnier dans la psychologie sociale par l'introduction de son concept de la dynamique des groupes. Ses principaux apports en matière de gestion du changement concernent l'analyse du champ de forces en faveur et à l'encontre du changement, donc, la mise en évidence d'un modèle de changement en 3 phases et la compréhension des dynamiques de groupe et des styles de leadership. Ce sont ces 3 points que nous allons développer maintenant. Pour Lewin, le groupe est un système en état quasi stationnaire. Cet état, stable en apparence, est en fait maintenu en équilibre par des forces opposées. Alors que les unes sont favorables au changement et les autres seront favorables à la stabilité. L'état initial du groupe est maintenu en équilibre par ces forces d'égales intensités et opposées les unes aux autres. Cet état correspond à la position 1 de la figure. Mais cet état est susceptible d'évoluer à n'importe quel instant, parce que les forces qui le maintiennent en équilibre ne sont ni stables, ni muables, c'est pour cette raison que cet état est qualifié de quasi stationnaire. Le changement d'état peut alors s'opérer de 2 façons. Tout d'abord, on augmente l'intensité ou le nombre de forces favorables au changement, ce qui correspond à la position 2 de la figure. Ou alors, on diminue l'intensité et le nombre de forces restrictives au changement, ce qui correspond à la position 3 de la figure. Pour déterminer laquelle des 2 positions est la plus efficace pour faire bouger l'organisation, Lewin réalise en 1943, sur la demande du gouvernement américain, une recherche visant à amener les ménagères américaines à consommer des abats. En effet, à cette époque, les abats étaient peu consommés, car considérés comme dévalorisant et d'aspect peu appétissant. Les autres morceaux de viande étaient quant à eux envoyés aux soldats sur le front de la guerre. Pour conduire cette recherche, Lewin met en place un dispositif expérimental, visant à comprendre comment influencer un groupe pour faire évoluer ses habitudes de consommation. Deux méthodes sont alors mobilisées auprès de clubs et d'associations féminines de ménagères, de petites villes américaines. La première consistait à donner des conférences qui mettaient en évidence les mérites nutritives des abats et donnaient des recettes. La deuxième proposait aux femmes invitées, une rapide information puis ensuite de discuter ensemble du problème, à savoir la consommation des abats, sous la direction d'une animatrice de groupe. Dans les 2 cas, l'expérience durait 45 minutes. À l'issue de la réunion, Lewin demanda aux ménagères si elles étaient prêtes à consommer des abats, la semaine suivante. Si 33 % de celles ayant participé au groupe de discussion ont répondu positivement, elles n'étaient seulement que 3 % pour celles qui avaient assisté à la conférence. Une vérification, réalisée au domicile des ménagères une semaine après, a permis de constater que la consommation des abats était 10 fois plus importante dans le second groupe que dans le premier. C'est donc en s'appuyant sur ces résultats que Lewin conclut qu'il est préférable de conduire le changement en cherchant à diminuer les forces restrictives, c'est-à -dire la position 3, plutôt que de chercher à augmenter les forces propulsives, c'est-à -dire la position 2. En effet, pour Lewin, les normes sociales liant les individus d'un même groupe, agissent au sein du champ de forces comme des résistances au changement. Il est alors possible de diminuer l'intensité de ces forces afin de changer l'équilibre du groupe, soit en réduisant l'attachement des individus à la norme, soit en changeant la norme elle-même. L'entretien individuel ou la propagande de masse, comme celle réalisée par la conférencière, laisse l'individu dans une situation solitaire et psychologiquement isolée. Cette situation va favoriser les phénomènes de résistance aux changements. Pour autant, selon Lewin, ces résistances tiennent plus à des facteurs collectifs tels que la peur d'être écarté du groupe, qu'à des facteurs individuels et rationnels. À l'inverse, la discussion et la prise de décision en commun, comme celle du groupe 2, vont permettre d'augmenter l'implication des individus. Cette implication peut alors susciter un mouvement collectif de changement des comportements des individus au sein du groupe. Ainsi, selon Kurt Lewin, pour conduire le changement, il est plus efficace de modifier les normes du groupe, comme cela a été le cas dans le groupe 2, que de chercher à réduire l'attachement des individus à ces normes, comme cela a été le cas dans le groupe 1. Par ailleurs, contrairement au présupposé qu'un individu serait plus malléable que les groupes, les travaux de Lewin mettent en évidence qu'il est plus évident de faire changer des individus constitués en groupe, que des individus pris individuellement. Dans ce cas, le groupe joue le rôle de réducteur de l'incertitude pour l'individu. La deuxième contribution de Lewin sur le changement organisationnel concerne son processus. Kurt Lewin propose un modèle de changement en 3 phases. La première phase vise à décristalliser les normes du groupe. Cette décristallisation favorise l'abandon des comportements et des attitudes routiniers, afin de créer chez l'individu une motivation à changer. Elle est rendue possible par la discussion, qui permet comme dans l'expérience des abats, de remettre en cause les normes du groupe. Elle va créer un déséquilibre à partir duquel l'individu est en mesure de s'ouvrir à l'apprentissage de nouvelles normes. Ce déséquilibre repose sur l'insatisfaction de la situation actuelle, qui déclenche des mécanismes d'inconfort, d'anxiété et d'insécurité psychologique. Ainsi, la décristallisation favorise la prise de conscience, du besoin de changer les comportements actuels, au profit de nouveau comportement. La deuxième phase, celle de déplacement ou de mouvement, marque le changement par la réduction des forces de résistance. Il s'agit d'une phase de transition, où l'on expérimente de nouvelles pratiques. Enfin, la dernière phase, celle de cristallisation, permet d'établir les nouvelles normes, évitant ainsi tout retour à l'état initial susceptible de déstabiliser le nouveau champ de force. Cette phase repose sur l'intégration de nouvelles habitudes dans le changement quotidien, afin de rendre le changement permanent. La troisième contribution de Lewin à la compréhension des changements organisationnels concerne le leadership. Pour Kurt Lewin, le manager, en tant que chef d'un groupe, peut agir sur son fonctionnement, en fonction de la façon dont il exerce son autorité sur le groupe. Lewin s'intéresse alors avec 2 collègues, Lippitt et White, à 3 styles de leadership différents. Le premier, le leadership autoritaire, dirige les activités du groupe au moyen d'ordres impératifs, il définit les objectifs du groupe et les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Le deuxième, le leadership démocratique, participe à la vie du groupe, mais sans donner d'ordres. Il fait des suggestions, et encourage les membres du groupe à prendre des initiatives. Il assiste également ses collaborateurs dans la fixation des objectifs et la définition des moyens. Le troisième style, le leadership permissif, apporte ses connaissances techniques au groupe, mais ne s'implique que très peu dans les activités du groupe. Il laisse alors le groupe agir à sa guise. Les 3 chercheurs ont étudié l'influence de ces 3 formes de leadership sur le comportement d'enfants, volontaires pour participer à des activités de groupe. Elle montre tout d'abord que le leadership démocratique présente des résultats tout aussi satisfaisants que le leadership autoritaire, bien qu'un peu inférieurs en termes de quantité produite, mais meilleurs en termes de qualité. Par contre, avec le leadership démocratique, des relations amicales et chaleureuses se tissent entre les membres du groupe et le groupe devient capable de s'auto-diriger en l'absence de l'adulte. Le groupe permissif, quant à lui, ne réussit pas particulièrement, aussi bien dans l'exécution au travail que dans la satisfaction au travail. Les membres de ce groupe manifestent peu d'indépendance vis-à -vis de l'adulte et coopèrent peu avec celui-ci. Avec le leadership autoritaire, les auteurs observent 2 types de réaction. La première, agressive, se manifeste avec des actes de rébellion et le désire d'attirer l'attention de l'adulte. La seconde réaction, apathique, montre des enfants moins critiques à l'égard de l'adulte. Mais lorsque le leadership autoritaire est remplacé par un leadership démocratique, les enfants apathiques deviennent brutaux. Lewin et ses collègues concluent alors que le leadership démocratique est bien plus performant que les 2 autres formes de leadership, aussi bien en termes de rendement que de satisfaction. Selon eux, le leadership démocratique constitue un levier intéressant pour faciliter la conduite du changement. Il permet d'introduire le changement par consensus social, et s'appuie sur des débats ouverts, la recherche de diagnostic partagé, la définition d'objectifs communs. Par contre, un leadership autoritaire qui s'appuie sur l'utilisation contraignante du pouvoir, va récompenser ceux qui suivent le mouvement indiqué et sanctionner les autres. Si un tel leadership permet la rapidité d'exécution, le gain de temps initial est souvent perdu en cours d'exécution du changement. En effet, à long terme, il est susceptible d'entraîner des tensions, des affrontements et des rapports de force, qui ne favorisent pas une réelle capacité à changer. Pour Lewin, ces résultats peuvent s'étendre à des personnes qui sans avoir une position hiérarchique formelle, peuvent exercer leur leadership sur les autres individus. Ces leaders d'opinion constituent des vecteurs informels du changement à l'intérieur des groupes. Lewin les qualifie de portiers du changement car ils peuvent influencer le comportement des autres acteurs à l'intérieur du groupe. Pour conclure, il est important de souligner que les travaux de Lewin font encore référence en matière de conduite du changement. Son modèle en 3 phases est encore très largement utilisé dans les projets de changement, conduits au sein de grandes entreprises. La mise en avant du leadership démocratique est plus que d'actualité dans les grandes entreprises, qui cherchent à manager par le sens et à mobiliser leurs collaborateurs. 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