[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans ce module, nous allons maintenant parler de l'eye-tracking. L'eye-tracking, c'est une technique qui permet de regarder exactement ce que la personne est en train de regarder. C'est donc une technique qui a amené une avancée considérable dans le domaine de l'autisme, parce qu'elle permet de regarder le monde à travers les yeux de la personne avec autisme. On va voir, au cours de ce module, différents paradigmes qui nous ont permis de comprendre mieux les difficultés des personnes qui sont sur le spectre. Mais avant ça, je vais vous expliquer comment fonctionne l'eye-tracking. L'humain a une vision qui est d'à peu près 180 degrés. Mais pour regarder quelques chose précisément, donc dans sa vision nette, il n'y a que deux degrés de son angle visuel. C'est-à -dire que pour regarder quelques chose de manière précise, il faut qu'on fasse des saccades oculaires pour amener cette vision nette au centre de notre rétine. Donc, si vous êtes dans un supermarché et que vous voulez voir tous les différents items qui sont sur les rayons de ce supermarché, vous êtes systématiquement entrain de faire des saccades. C'est ce principe que l'eye-tracking exploite pour pouvoir mesurer de manière très précise qu'est-ce qui est au centre de votre vision. Donc ça, la technique d'eye-tracking elle le fait grâce au reflet de la lumière sur la cornée. C'est quelque chose qui dépend de la morphologie des yeux de la personne, qui dépend de la position des yeux. Et donc, concrètement, il y a une phase de calibration, en général, qui est une phase pendant laquelle la personne va regarder l'écran et regarder une région précise. Puis, la lumière va se refléter sur sa cornée et on va mesurer exactement qu'est-ce qu'elle regarde. Donc vous avez vu, concrètement, chez cet enfant qui regarde l'écran pendant une calibration, que l'eye-tracking se présente avec un écran qui est similaire à un écran d'ordinateur. Puis, en dessous, une barre qui est en fait la machine d'eye-tracking. C'est quelque chose qui émet de la lumière infrarouge et qui récolte aussi l'endroit où est-ce qu'elle se reflète sur la cornée, qui va permettre de mesurer avec précision à quel endroit la personne regarde. Les machines les plus récentes d'eye-tracking, elles ont une précision qui est très bonne, puisqu'on est à moins de 0,3 degrés dans l'estimation de la direction du regard. Alors ici vous voyez que l'enfant regarde un exemple d'une courte scène sociale. Puis, vous voyez que quand il regarde cet écran, on arrive très bien à identifier ces différentes saccades oculaires, qui est le principe que l'eye-tracking exploite. Une fois qu'il a terminé le visionnement de cette séquence, ce qu'on peut faire, c'est qu'on peut la regarder nous-même et superposer par-dessus la vidéo que l'enfant a vu, les données qui sont extraites de la direction de son regard. Les points rouges que vous voyez ici, c'est l'endroit où l'enfant a regardé. On peut exploiter ça de différentes manières. On peut sortir les données de différentes manières. Mais ça nous permet de regarder qu'est-ce qui a attiré son regard et de mesurer un certain nombre de choses. Par exemple, le temps qu'il a passé sur les visages, le temps qu'il a passé à regarder des objets, le nombre d'aller-retour qu'il a fait entre les différents visages et d'exploiter ces données d'une manière qui est variée. C'est quelque chose qu'on vous expliquera dans les séquences à venir, avec des paradigmes qui sont plus différents : soit des paradigmes qui ressemblent à des interactions sociales comme vous venez de le voir, soit des paradigmes qui ciblent des processus attentionnels, qui sont des processus plus basiques, avec peut-être même des fois des photos. Donc on est pas forcément dans une vidéo, on peut être dans une photo. Il y a vraiment une grande flexibilité dans ce qu'on peut montrer à l'écran et que l'enfant peut regarder, ou la personne peut regarder, et qu'on peut ensuite mesurer. Alors comment est-ce qu'on en est venu à utiliser l'eye-tracking pour mieux comprendre l'autisme? La toute première étude a été publiée par Klin en 2002, et c'était une étude de cas pour montrer la faisabilité de cette technique. Ce que Klin a fait, c'est qu'il a demandé à deux personnes, des jeunes adultes, des personnes qui étaient à l'université, qui avaient donc un bon niveau cognitif, de regarder des extraits du film de Qui a peur de Virginia Woolfe ?. Ces deux personnes, c'était une personne qui était sur le spectre de l'autisme, puis une personne sans autisme. Ce qu'il a vu, c'est que ces deux personnes ont exploré ces extraits vidéos d'une manière extrêmement drastiquement différente. Par exemple, la personne qui n'était pas sur le spectre de l'autisme a passé la majorité de son temps à regarder dans les yeux. Parce que c'est l'information des yeux qui nous donne le plus d'informations sur l'intention sociale, sur ce que la personne est en train de penser, sur ces émotions, et qui nous donne le plus d'informations pour comprendre cette interaction sociale. Cette personne sans autisme a regardé la plupart du temps les yeux, mais aussi, la plupart du temps, a fait des aller-retours entre les yeux des différents protagonistes. Par contre, la personne qui était sur le spectre de l'autisme a passé nettement moins de temps à regarder dans les yeux. Ce qui l'a plus attiré, par exemple, c'est la bouche, le mouvement de la bouche. Par moment, elle a aussi été attirée par d'autres éléments de la scène qui n'étaient pas des éléments pertinents pour comprendre l'interaction sociale, comme par exemple, le collier d'une des actrices. Très rapidement, on s'est rendu compte que ça nous permettait de regarder le monde à travers les yeux de la personne qui avait un autisme et de se rendre compte qu'elle ne regardait pas la même chose, en particulier en terme d'indices sociaux, qu'une personne qui n'est pas sur le spectre de l'autisme. Et ça, Klin a pu ensuite le vérifier avec un groupe qui était plus grand, puisque cette première publication, je vous l'ai dit, elle s'intéressait qu'à deux personnes. C'était une étude de cas. Il a pu vérifier ça avec un groupe plus grand et montrer de manière quantitative qu'effectivement des personnes sans autisme regardaient les yeux en moyenne 65 % du temps en extrait vidéo, donc la majorité de leur temps, alors qu'une personne qui est sur le spectre ne passait que 25 % de son temps à regarder ces yeux. Par contre, la personne qui est sur le spectre regardait plus la bouche : 41% du temps alors qu'une personne qui n'est pas sur le spectre passait seulement 21% du temps à regarder la bouche. C'est probablement parce que la personne qui est sur le spectre était attirée par quelque chose qui est de l'ordre de la synchronie entre le mouvement de la bouche et le son qui est produit. Mais finalement, regarder la bouche c'est quelque chose qui nous amène peu d'informations par rapport à la compréhension sociale de la scène, de ce qui est entrain de se jouer. Donc c'est quelque chose qui à la fin de la séquence, va donner peu d'informations à cette personne pour comprendre ce qu'il s'est passé. Klin a immédiatement compris qu'on pouvait utiliser cette technique pour amener un certain nombre d'informations sur la manière dont la personne comprend cette information sociale. En particulier, comment est-ce qu'elle va regarder dans les yeux, je vous l'ai dit, parce que ça donne une certaine information sur ce qui est en train de se passer et ce qu'elle pense, mais aussi tous les signaux non-verbaux. Parce qu'il est important, pour que la communication soit efficace, qu'on puisse intégrer à la fois le contenu du langage, avec tous les signaux non-verbaux que la personne est en train de produire. C'est une technique qui va nous apporter beaucoup pour comprendre comment la personne appréhende le monde qui l'entoure. C'est aussi une technique qui est assez flexible, puisque on ne demande pas à la personne de suivre des consignes en particulier, on ne lui demande pas de répondre à quoi que ce soit quand on lui fait passer ces tâches. Donc, c'est quelque chose qui potentiellement peut être fait de manière très facile, aussi avec des très jeunes enfants, et qui a été même démontré avec des enfants à partir de l'âge de deux mois. On arrive à avoir des données qui sont relativement bonnes sur l'orientation du regard. Ce qui a vraiment révolutionné le domaine, c'est qu'auparavant, ces informations-là , sur est-ce que la personne regarde dans les yeux, est-ce qu'elle est capable de comprendre les signaux sociaux, elles étaient uniquement mesurées par le cliniciens. Donc, il y avait une certaine subjectivité qui pouvait apparaître, ou une certaine variabilité qui pouvait apparaître, en fonction du contexte, en fonction du degré de timidité de la personne. Avec l'eye-tracking on arrive à avoir des mesures qui sont précises d'une part, objectives, quantifiables, qu'on peut remesurer aussi au cours du temps, en fonction de l'évolution, pour comprendre ces processus qu'auparavant on avait mesuré d'une manière qui paraissait plus subjective et plus difficile aussi à montrer à un collègue, alors que là on va pouvoir regarder ensemble ces données d'eye-tracking et partager notre compréhension de ce que la personne regarde sur cette scène-là . En résumé, l'eye-tracking est une technique relativement flexible. On peut utiliser divers paradigmes. Comme nous avons vu, avec les paradigmes que je vous ai montré, ça peut reproduire les interactions sociales du quotidien, pour voir comment est-ce que la personne s'intéresse à des choses qu'elle a l'habitude de voir au quotidien. On peut aussi l'utiliser pour des paradigmes qui sont plus ciblés sur des processus, comme des processus attentionnels. Et ça, c'est des choses qu'on va voir ensemble au cours des séquences à venir. En tout cas, ce qui est assez clair, c'est que depuis la première proposition d'utiliser l'eye-tracking, il y a un peu près une vingtaine d'années, c'est un domaine qui a beaucoup évolué et qui a un énorme potentiel pour nous aider à mieux comprendre les troubles du spectre de l'autisme. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]