[MUSIQUE] Dans le module précédent, nous avons abordé ensemble les différents facteurs de risques génétiques et environnementaux qui mènent à l'émergence de l'autisme, et vous avez probablement réalisé que finalement, on comprend encore peu quels sont les liens entre ces facteurs génétiques et environnementaux de manière individuelle et l'émergence de ces symptômes. Pour cette raison, il y a un certain nombre de théories qui ont émergé au cours des dernières années pour expliquer finalement qu'est-ce qui mène à l'autisme, et c'est ce que nous allons discuter ensemble dans ce module maintenant, quelles sont ces théories actuellement prédominantes. Pour vous accompagner dans ceci, nous serons deux personnes, Maude Schneider qui est Professeure à la faculté de psychologie de l'Université de Genève et moi-même. Ce que vous allez réaliser, c'est que là , on va rechercher une théorie qui est une théorie unique, avec pour but vraiment de comprendre l'ensemble des symptômes d'autisme. Et une des difficultés, c'est que ces symptômes d'autisme ont des natures qui sont assez différentes. C'est-à -dire que d'un côté, on a des déficits sociaux, d'un autre côté on a des comportements qui sont répétitifs ou des intérêts restreints, et puis on a encore des symptômes qui sont plus d'ordre sensoriel. En plus, ces symptômes peuvent vraiment avoir une intensité qui est différente. Donc, la difficulté derrière ça, le défi principalement c'est de pouvoir trouver une théorie qui soit une théorie homogène et unifiée, qui explique l'émergence de l'ensemble de ces symptômes en même temps. On va voir comment est-ce que différentes théories ont essayé de réduire cette complexité pour une seule théorie, et puis vous allez voir que finalement, il existe actuellement deux types de théories. Il y a d'un côté des théories qui vont plutôt s'intéresser à comprendre comment est-ce que le traitement de l'information est altéré de manière globale, donc en disant qu'il n'y a qu'une une seule manière d'altérer l'information de manière globale, qui amène à l'émergence des symptômes. Ça c'est par exemple la théorie du manque de la cohérence centrale, qui postule que les personnes qui sont le spectre ont une vision qui est plutôt orientée vers les détails, qui finalement leur empêche de voir des aspects de globalité dans le monde qui les entoure. Une autre de ces théories globales c'est par exemple la théorie d'un trouble de la prédiction, qui dit que les personnes qui sont sur le spectre vont avoir des difficultés à prédire ce qui va venir juste après, et que ceci va donc les empêcher aussi d'avoir une compréhension pleine et entière du monde qui les entoure. Donc, ça c'est vraiment pour des théories qui sont plutôt globales, et puis de l'autre côté, on a aussi des théories qui expliquent que finalement, ce serait plutôt le traitement de l'information qui serait altéré d'une manière spécifique. Et quand on parle de traitement d'informations spécifiquement altérées, on va plutôt parler du traitement de l'information sociale, parce que c'est vraiment un des symptômes les plus cœurs et les plus prédominants quand on parle du trouble du spectre de l'autisme. Et là , on regardera ensemble différentes théories encore. Une des théories c'est par exemple celle que Simon Baron-Cohen a amenée, qui a d'abord parlé de cécité mentale, c'est-à -dire l'idée que les personnes qui sont sur le spectre ont de la difficulté à se représenter les états mentaux des autres. Ensuite, ces théories ont un petit peu évolué pour amener ce qu'il appelle une théorie de l'empathie-systématisation, en disant que les personnes sur le spectre ont finalement moins d'empathie, mais plus de capacités de systématisation. Une autre de ces théories qui postule que l'information est altérée de manière spécifique c'est la théorie de la motivation sociale. Ce que cette théorie dit, c'est que des personnes qui sont sur le spectre depuis leur plus jeune âge étaient moins intéressées par les stimuli sociaux, et que ça fait qu'elles y ont moins prêté attention et que finalement, ces compétences sociales se sont moins développées année après année, de sorte qu'un diagnostic d'autisme soit finalement clair déjà dans la petite enfance. Cette théorie est assez intéressante parce qu'elle nous donne aussi un modèle pour comprendre comment est-ce que les interventions précoces vont pouvoir agir sur ces symptômes-là . Donc, toutes ces théories, on va les voir ensemble maintenant ensemble au cours de ce module, et nous allons commencer par la théorie qui est la théorie la plus ancienne, c'est-à -dire la théorie d'un manque de cohérence centrale. >> Bonjour, je m'appelle Maude Schneider, je suis Professeure à la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation à l'Université de Genève, et je suis également clinicienne à la fondation Pôle Autisme. Je m'intéresse particulièrement aux difficultés sociales chez les personnes avec un trouble du spectre de l'autisme, et je vais donc vous parler aujourd'hui de quelques modèles de compréhension de l'autisme. Le premier modèle dont je voudrais vous parler c'est un modèle historique qui est le modèle du manque de cohérence centrale, qui a été développé par Uta Frith à la fin des années 80. Dans ce modèle, Uta Frith propose que les personnes qui sont sur le spectre présentent un déficit au niveau du traitement de l'information globale, et auraient tendance en fait à privilégier le traitement local des informations. Pour Uta Frith, au départ, cette théorie permet d'expliquer finalement de manière assez générale l'ensemble des symptômes de l'autisme, et permettrait notamment d'expliquer pourquoi les personnes qui sont sur le spectre auraient notamment des difficultés à comprendre les états mentaux d'autrui, puisque ceci nécessite l'intégration finalement de plusieurs éléments pour faire une interprétation. Quelques années plus tard, il y a eu en fait une révision de ce modèle par une autre chercheuse qui s'appelle Francesca Happé dans les années 90, et qui propose que finalement les personnes qui sont sur le spectre n'auraient pas un déficit au niveau du traitement global de l'information, mais présenteraient plutôt un biais pour le traitement de l'information locale. C'est-à -dire que dans certaines conditions, elles pourraient tout de même traiter les informations de manière globale, mais spontanément, dans leur vie quotidienne, elles auraient tendance à plutôt privilégier un traitement plutôt local de l'information. Donc, peut-être que vous pouvez vous demander comment est-ce qu'on teste ce genre de théories au niveau de la recherche. Il n'y a pas un paradigme expérimental particulier qui a été développé pour tester cette théorie, mais finalement, plusieurs types d'études ont été utilisés. Par exemple, certains chercheurs ont testé la compréhension ou la perception d'illusions chez les personnes avec autisme, puisque la perception d'illusions nécessite généralement de pouvoir alterner entre un traitement plutôt local et un traitement plus global. D'autres chercheurs ont utilisé pour tester ce modèle de manque de cohérence centrale un test neuropsychologique qui est très connu, qui s'appelle la figure complexe de Rey. Dans ce test, il est demandé en fait aux personnes de recopier une figure complexe qui est composée de plusieurs éléments. Donc, vous voyez ici à l'écran une reproduction qui a été faite par un enfant de cette figure complexe de Rey. Ce qui intéressant dans ce test, c'est qu'on peut vraiment observer la manière dont les personnes ont procédé pour recopier la figure, et quel style de traitement de l'information les personnes ont utilisé. Donc, par exemple, une personne qui aurait un traitement de l'information plutôt global aurait commencé par retracer le contours de la figure, puis la remplir progressivement avec les différents éléments. À l'inverse, une personne qui aurait plutôt un traitement local de l'information commencerait par tracer un petit détail de la figure, comme par exemple le rond avec les deux points, qui ressemble un peu au visage d'une personne, et construirait ensuite la reproduction de la figure à partir de cet élément. Donc, cette figure permet de pouvoir examiner quel est le style de traitement de l'information des personnes qui se trouvent sur le spectre de l'autisme. Donc, dans ce modèle du manque de cohérence centrale, on peut se poser la question finalement de quels sont les symptômes de l'autisme qui sont particulièrement bien expliqués par ce modèle. Et ce qui semble assez clair, c'est qu'en tout cas, ce modèle permet d'expliquer assez bien tous les symptômes qui sont plutôt dans le domaine des intérêts restreints et des comportements répétitifs, comme par exemple le fait que les personnes aient tendance à utiliser des objets de manière non fonctionnelle, par exemple le fait de pouvoir utiliser une voiture en faisant tourner les petites roues de la voiture, ce qui montrerait finalement une centration sur un aspect spécifique de l'objet au détriment de son aspect plutôt global qui serait de pouvoir la faire rouler ou de pouvoir faire un circuit avec. Par contre, ce qui est moins clair, c'est si cette théorie permet bien d'expliquer les symptômes plutôt sociaux de l'autisme, donc les difficultés de communication et d'interaction sociale. Il y a un petit peu un débat dans la littérature à ce sujet, mais ce que proposent les auteurs de cette théorie finalement, ça serait de dire que ce biais de traitement de l'information en faveur des informations locales pourrait coexister avec d'autres déficits qui seraient plutôt spécifiques au traitement de l'information sociale, et que du coup, différents déficits pourraient expliquer conjointement la totalité des symptômes de l'autisme. Finalement, le dernier point que je souhaiterais aborder dans cette vidéo ce sont les soubassements neurobiologiques qui pourraient expliquer ce biais en faveur du traitement de l'information locale. Il faut savoir qu'il y a assez peu d'évidences à ce jour qui vont spécifiquement dans le sens de ce modèle du manque de cohérence centrale, mais il y a quelques éléments comme ça qui méritent d'être soulignés. Le premier c'est que les personnes avec autisme pourraient présenter des particularités au niveau du traitement de l'information visuelle, et en particulier du traitement de basse fréquence, qui permet justement une perception plutôt globale de l'information visuelle, au détriment des détails. L'autre chose qu'on peut souligner c'est que les personnes qui sont sur le spectre présentent des particularités au niveau de leur profil de connectivité cérébrale, en particulier et ça c'est quelque chose que vous verrez par la suite dans ce MOOC, les personnes avec autisme présenteraient plutôt une hyperconnectivité au niveau des régions locales, donc les régions qui sont proches les unes des autres, et plutôt une altération des connexions longue distance, donc des connexions qui font se parler des régions qui sont éloignées dans le cerveau. Et ceci a été souvent mis en évidence comme étant un soutien pour ce modèle du manque de cohérence centrale puisque les connexions longue distance permettent justement d'intégrer les informations entre elles et d'avoir une vision finalement plutôt globale des choses. Donc, en conclusion, finalement ce modèle de manque de cohérence centrale c'est vraiment un modèle historique de compréhension des symptômes de l'autisme, mais il présente quand même certaines limites, c'est-à -dire qu'il a été opérationnalisé de manière assez vague, c'est-à -dire qu'il est difficile de faire vraiment des prédictions très spécifiques sur la base de ce modèle. La deuxième limite qu'on peut relever c'est qu'il se centre plus spécifiquement sur le deuxième domaine des symptômes de l'autisme qui est les comportements répétitifs et les intérêts restreints, et ne met pas beaucoup d'emphase sur les symptômes qui sont plutôt sociaux de l'autisme. Donc, il y a d'autres modèles qui ont plutôt pris le pendant inverse et qui se sont plutôt centrés sur les symptômes sociaux, et notamment toutes les théories de Simon Baron-Cohen dont je vais vous parler juste après. [MUSIQUE] [MUSIQUE]